il était une fois : la genèse du projet

C'était presque hier. J'habitais alors de l'autre côté du chemin de fer - frontière invisible - dans la ville en V.
En 2015, un prospectus dans ma boîte aux lettres. Et si on faisait notre nid ici ?
Je pars m'aventurer au-delà du rail, dans cette bourgade mitoyenne que je méconnais.
Je m'en vais humer l'air. Ambiance pavillonnaire et populaire.
A hauteur des Fosses rouges, je suis déjà sous le charme.
Le terrain vague du talus m'hypnotise.
Le coup de foudre est irréversible. J'imagine le futur qui va bientôt se dessiner.
Ce fut donc le dixième lieu où je posai mes valises. J'espère y rester encore un moment. Je vis donc à Malakoff. Depuis peu.
Et je travaille à Malakoff. De temps en temps.
J'ai déjà pu prendre le pouls de l'état d'esprit malakoffiot et la chance, à maintes occasions, de constater le dynamisme et la richesse de son tissu associatif, ainsi que la proximité de ses commerçants.

Who I am  

Issue de la génération Y (donc née au siècle dernier, une éternité) et originaire du Grand Paris avant qu'il ne se gentrifie, j'ai développé la passion de la photo lorsque j'ai intégré au début des années 2000 un club de rando. Ce fut l'occasion pour le rat des villes que j'étais de découvrir des paysages composés de terres agricoles, de zones pavillonnaires, de ruralité, de saisons, de centres-villes en déshérence...

Par ailleurs, comme zoner est ma seconde nature (car synonyme de liberté), bien vite les capteurs embarqués sur les premiers photophones me permirent très tôt d'immortaliser la Ville que je sillonnais de long en large.

Ainsi, la street photo et l'urbex [exploration] sont progressivement devenues mes domaines de prédilection, à force de pérégrinations transurbaines et de migrations pendulaires.

Pour la première, je puise avant tout mon inspiration dans l'Humain, aussi bien dans la rue que dans l'observation des passants et des usagers des transports. La capture des expressions et des attitudes - saisies au vol - sous un angle décalé ou insolite constitue une forme de jeu dont je ne me lasse guère.

Concernant la seconde, l'évolution des paysages et le regard sur les banlieues en perpétuelle mutation m'ont amené à une prise de conscience. Celle qu'au travers d'une approche documentaire et parfois poétique, la photographie pouvait jouer un rôle. Soit en préservant le souvenir et la Mémoire, soit en sauvant de l'oubli des lieux chargés d'Histoire(s).

Le jour d'avant

Le préambule au confinement fut rude, professionnellement et humainement parlant. Ces lundi et mardi "noirs" resteront profondément inscrits dans ma mémoire.

Lundi 16 mars, j'étais renvoyée d'une entreprise X par le client (je suis presta) pour avoir osé porter un masque (car j'avais été en contact avec une personne fiévreuse dans mon entourage). Pour avoir voulu protéger mes collègues ! Motifs : "illégal", "inesthétique", "risque de photos postées sur les réseaux sociaux".

Mardi 17 mars, j'étais en formation dans une entreprise Y auprès d'une collègue...contaminée, qui n'avait bénéficié d'aucune protection sur son lieu de travail.

Mercredi 18 mars, j'étais censée remplacer cette collègue, dont l'état de santé s'était sérieusement dégradé. Dans les mêmes conditions. J'ai refusé.

A la veille du confinement, un recensement non exhaustif (basé sur le déclaratif) indiquait que 7% des effectifs de ma boîte étaient en "suspicion contamination covid". Triste record ! Durant la 2e moitié de mars, ça a continué et j'ai eu pas mal d'échos de collègues toujours en poste - exposées - tombant comme des mouches.

La balade des jours heureux

A l'injonction infantilisante "restez chez vous", j'aurais de loin préféré la recommandation responsabilisante "sortez où/quand c'est désert".

Au début, comme beaucoup de lions en cage qui tournent rapidement en rond dans un appartement, j'ai foncé dans l'interstice offert par la case du jogging autorisé (à défaut d'avoir un chien à promener).

En décollant à la fraîche, j'étais aux premières loges du spectacle offert par la faune (hérissons, renards, hermines, oiseaux) qui a progressivement (et éphémèrement) repris possession des espaces verts assiégés par l'Homme.

Mais les réminiscences d'une vieille entorse à la cheville se sont hélas rappelées à mon bon souvenir.

La bougeotte chevillée au corps, j'ai alors commencé à flâner à la nuit tombée, jusqu'au  passage à l'heure d'été.

Puis, je me suis mis en tête de re-découvrir ma ville que je traverse le plus souvent en coup de vent. Recoins, venelles, cités, quartiers résidentiels : prendre le pouls de l'âme malakoffiote sans - hélas - ses habitants.

Covid & co

Comme son numéro de millésime l'indique, mon corona à moi remonte très probablement à...octobre 2019 (pardon de déroger à la chronologie officielle du PCC), une éternité !

En même temps qu'un collègue, j'ai attrapé un très virulent virus dont je vous laisse juges.

Boyaux en compote, trachée en feu (un couteau dans la gorge), difficulté à m'oxygéner, forte fièvre qui ne passe pas, appétit coupé et goût altéré, affaiblissement général sévère, premier malaise vagal dans les transports, pas moins de cinq kilos perdus en moins d'une semaine. Des symptômes atypiques, survenus brutalement et qui ne correspondaient à rien de connu jusqu'alors.

A l'auscultation, le médecin confirma qu'il ne s'agissait ni d'une gastro, ni d'une angine, ni d'une grippe. Ce sera le virus "NiNiNi", jusqu'à ce qu'un certain corona fasse la Une des journaux quelques mois plus tard.

Pas étonnant, il faut dire que, dans le cadre de mon travail, je suis très exposée et amenée à croiser des centaines, voire des milliers de personnes au quotidien, dont des délégations étrangères. Pour l'anecdote, seule une infusion une plante aux vertus antiémétiques et anorexigènes reconnues m'a remise sur pied, atténué les symptômes et permis de retrouver l'appétit. Mai 2020, je ne suis pas tellement étonnée de lire à ce sujet, que plusieurs équipes de chercheurs ont obtenu des résultats prometteurs, démontrant l'amélioration de la réponse immunitaire grâce à l'inhibition de certains récepteurs. A suivre...

Enfin, ce virus m'avait tellement foutue sur le carreau que, avec le recul, je peux certifier que de toute ma vie je n'avais jamais ressenti le souffle glacial de la grande faucheuse aussi près de ma nuque.

55 jours

"Aujourd'hui, le monde est un carrousel à l'arrêt." (Gaël Faye)

La période de confinement fut un paradoxe, une montagne russe oscillant entre stress et zen. Avec le fond de l'air à la fois léger et pesant. Colère dans un silence de mort. Une parenthèse enchantée et, "en même temps" une hécatombe silencieuse.

Loin du Grand Est et de l'Oise, nous nous sommes sentis invulnérables. J'ai essayé d'apprécier cette existence en décéléré. Une bulle d'oxygène dans un contexte anxiogène. La sensation persistante que nous avons vécu le calme avant la tempête, un second tsunami imminent.

Le plus dur reste à venir. L'équation de l'avenir comporte de nombreuses inconnues. Que serons-nous dans 3 mois, 6 mois, 1 an ? Survivrons-nous à la Grande Dépression qui s'annonce ? Quid du prochain chapitre, après le vote de lois liberticides et le recul - promis - des acquis sociaux ? Saisirons-nous la chance de la page blanche pour écrire une nouvelle Histoire et ne pas recommencer les mêmes erreurs ?

Ou, au contraire, remonterons-nous dans une voiture sans chauffeur lancée à fond la caisse et se dirigeant droit dans le mur, pour rattraper l'objectif de croissance, quitte à aggraver l'urgence climatique ? Irons-nous jusqu'à écrire - malgré nous - le spin-off des contes de Charles Dickens ou des films de Ken Loach ? Un futur sans saveur, où nos vies se résumeraient à travailler jusqu'à l'épuisement. Point besoin de réforme des retraites dans ces conditions, puisque la classe laborieuse périra avant d'atteindre la soixantaine...

En tous les cas, souhaitons-nous bonne chance et n'oublions pas de demeurer solidaires. Prenez soin de vous et "bonne rentrée" !

"Et malgré ça, virgule de vie et vie entre parenthèses, la journée s’annonce radieuse." (Corona chroniques, David Dufresnes)

RIP cousin doc’

Je dédie ma série photo du confinement à mon cousin le docteur Pierre Gillet, médecin dans le Grand Est, 64 ans, décédé du covid. Un gars solide comme un roc et ancien capitaine des pompiers.

A l'instar de nombreux résidents et du directeur de l'EHPAD où il était l'unique médecin régulateur, il a été emporté dès le début de la pandémie. Premiers symptômes le 15 mars, hospitalisé le 22, canné le 8 avril, funérailles que nenni. Merci à tous ses patients qui n’ont pas manqué de lui rendre hommage dans la presse locale.

Aux familles, ce n’est pas une f*cking légion d’honneur posthume qui permettra de faire son deuil (arrêtez avec vos médailles en chocolat), mais plutôt une journée dédiée au souvenir des premières lignes qui se sont sacrifiées au cours de cette pandémie [qui n’est pas terminée].

J’ai également une pensée émue :

- pour Abbas, mon primeur à Vanves, décédé de maladie grave. Toujours accueillant et un mot gentil.

- pour Nasser, le libraire de l’Îlot Pages et le mari de Roland, parti brutalement durant la pandémie (mais pas “à cause”).

Une chose est certaine : nous ne vous oublierons pas.

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